Le coup de foudre existe t-il vraiment ou est-ce seulement un fait lié aux romans littéraires ?

Les écrits, témoins du coup de foudre dans la littérature romanesque du XVII ième à nos jours


A) La théorie selon Stendhal


En 1818, Stendhal a 35 ans. Il rencontre Mathilde Dembowski une jeune bourgeoise milanaise. Un « amour fou » mais non partagé. En 1822, il fait paraître « De l'amour » où il développe la célèbre théorie de la cristallisation. L'essai selon ses dires ne connaitra qu'une centaine de lecteurs. Stendhal y classe et analyse les différentes catégories de l'amour.

L'amour est présenté comme un produit imaginaire et une illusion en attente de désillusion. Il n'est pas « parfois » dans l'erreur ; l'erreur est constitutive de sa naissance et de son essence. Le terme est à rapprocher de la notion de « projection » en psychanalyse dans la mesure ou le sujet épris d'amour, « projette » sur l'objet aimé des qualités essentiels pour lui mais que l'objet n'a pas. D'où L'idéalisation de la femme aimée qui conduit forcément à une déception quand il revient au réel. L'amant peut être animé d'un désir de s'unir à un être non point parfait, mais supérieur dans un domaine, doué d'une perfection particulière qui l'amène à l'admiration et au dépassement de soi. Amour qui révèle et guide vers ce qui n'était pas ou mal connu, et non amour qui aveugle.

Stendhal définit le phénomène de cristallisation ainsi : « Ce que j'appelle cristallisation, c'est l'opération de l'esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l'objet aimé a de nouvelles perfections ».

Cette cristallisation peut désigner un coup de foudre. Il explique qu'une personne, sans le savoir, s'est fait un modèle idéal, « elle rencontre un jour un être qui ressemble à ce modèle, la cristallisation reconnait son objet au trouble qu'il inspire, et consacre pour toujours au maître de son destin ce qu'elle rêvait depuis longtemps». Selon Stendhal, nous avons un coup de foudre lorsque l'on rencontre une personne réunissant tous les critères érigés par soi-même.

Stendhal ne sachant pas non plus d’où vient ce phénomène, le compare alors à ce fameux processus de cristallisation. Ainsi il interprète le coup de foudre comme la rencontre soudaine de la personne rêvée et attendue. Contrairement aux autres récits ; Stendhal glorifie le coup de foudre.

La cristallisation s'inscrit dans un processus en plusieurs étapes, sept précisément :

1° L'admiration

2° Le plaisir, le désir
On se dit: «Quel plaisir de lui donner des baisers, d’en recevoir etc.!»

3° L'espérance

On étudie les perfections, c'est à ce moment qu'une femme devrait se rendre, pour le plus grand plaisir physique possible. Mais chez les femmes les plus réservés, les yeux rougissent au moment de l'espérance, la passion est si forte, le plaisir si vif, qu'il se trahit par des signes frappants.

4° L'amour est né (La naissance de l’amour)

Aimé, c'est avoir du plaisir à voir, toucher, sentir par tous les sens, et d'aussi près que possible, un objet aimable et qui nous aime.

5° Première cristallisation

On se plaît à orner de mille perfections une femme de l'amour de laquelle on est sûr ; on se détaille tout son bonheur avec une complaisante infinie. Cela se réduit à exagérer une propriété superbe, qui vient de nous tomber du ciel ; que l'on ne connaît pas, et de la possession de laquelle on est assuré.

Aux mines de sel de Salsbourg, on jette dans les profondeurs abandonnées de la mine un rameau d’arbre effeuillé par l'hiver : deux ou trois mois après, on les retire couvert de cristallisations brillantes. Les plus petites branches, celles qui ne sont pas plus grandes de la patte d'une mésange, sont garnies d'une infinité de diamants mobiles et éblouissants. On ne peut plus reconnaître le rameau primitif.

Stendhal entend par cristallisation le lent travail de l’esprit qui, modelant la réalité sur ses désirs, couvre de perfections l’objet aimé.

En un mot, il suffit de penser à une perfection pour la voir dans ce que l'on aime.

Ce phénomène, que je me permets d'appeler la « cristallisation », vient de la nature qui nous commande d'avoir du plaisir et qui nous envoie le sang au cerveau, du sentiment que les plaisirs augmentent avec les perfections de l'objet aimé, et de l'idée qu'elle est à moi. Le sauvage n'a pas le temps d'aller au delà du premier pas.

A l'autre extrémité de la civilisation, je ne doute pas qu'une femme tendre n'arrive à ce point de ne trouver le plaisir physique qu'auprès de l'homme qu'elle aime. C'est le contraire du sauvage. […] Mais quittons ces forêts pour revenir à Paris. Un homme passionné voit toutes les perfections dans ce qu'il aime ; cependant l'attention peut encore être distraite, car l'âme se rassasie de tout ce qui est uniforme, même du bonheur parfait.
Voici ce qui survient pour fixer l'attention :

6° Le doute naît

Après dix ou douze regards ou toute une série d'actions qui peuvent durer un moment comme plusieurs jours, ont d'abord donné, puis confirmé les espérances, l'amant, revenu de son premier étonnement, et s'étant accoutumé à son bonheur, […] l'amant, dis-je,demande des assurances plus positives et veut pousser son bonheur.

On lui oppose de l'indifférence, de la froideur ou même de la colère, s'il monte trop d'assurance ; en France, une nuance d'ironie qui semble dire : « vous vous croyez plus avancé que vous ne l'êtes ». Une femme se conduit ainsi, soit qu'elle se réveille d'un moment d'ivresse et obéisse à la pudeur, qu'elle tremble d'avoir enfreinte, soit simplement par prudence ou par coquetterie.

L'amant arrive à douter du bonheur qu'il se promettait, il devient sévère sur les raison d'espérer qu'il a cru voir. Il veut se rabattre sur les autres plaisirs de la vie, il les trouve anéantis. La crainte d'un affreux malheur le saisit, et avec elle l'attention profonde.

L’amant arrive à douter du bonheur qu’il se promettait. Il devient sévère sur les raisons d’espérer qu’il a cru voir.

7° Seconde cristallisation

A chaque quart d'heure de la nuit qui suit la naissance des doutes, après un moment de malheur affreux, l'amant de dit : Oui, elle m'aime ; et la cristallisation se tourne à découvrir de nouveaux charmes : puis le doute à l’œil hagard s'empare de lui et l'arrête en sursaut. Sa poitrine oublie de respirer ; il se dit : mais, est-ce qu'elle m'aime ? Au milieu des alternatives déchirantes et délicieuses, le pauvre amant sent vivement : elle me donnerait des plaisirs qu'elle seule au monde peut me donner.

C'est l'évidence de cette vérité, c'est ce chemin sur l'extrême bord d'un précipice affreux, et touchant de l'autre main le bonheur parfait, qui donne tant de supériorité à la seconde cristallisation sur la première.

L’amant erre sans cesse entre ces trois idées:

1° «Elle a toutes les perfections»;

2° «Elle m’aime»;

3° «Comment faire pour obtenir d’elle la plus grande preuve d’amour possible?».

Le moment le plus déchirant de l'amour jeune encore est celui ou il s’aperçoit qu'il a fait un faux raisonnement et qu'il faut détruire tout un pan de cristallisation.

On entre en doute de la cristallisation elle même. »




B) Recherche personnelle


Supports : extraits de romans du XVIIème à nos jours
Objectifs : Dégager les principales caractéristiques d'un coup de foudre




Auteur et titre
Modalités du récit
Regard
Lieux et circonstances
Échange
Effet
Manon Lescaut de L'Abbé Prévost
XVII ème siècle
- Récit à la 1ère personne
-Narrateur = héros
-Phénomène de décalage temporel
Regard du narrateur : remarque d’emblée le charme de la jeune fille parmi les autres voyageurs
Hôtellerie arrivée du coche d'Arras
Dialogue rapporté indirectement
Échange d'infos d'opinion
Disparition de la timidité du jeune homme (audace, courage)
Les Confessions de Rousseau
XVIII ème siècle
-Récit à la 1ère personne
-Narrateur = héros
- Phénomène de décalage temporel
Regard du narrateur : surpris par la beauté de madame de Warens
Jour des Rameaux (1728) dans un passage derrière la maison de madame de Warens
il est confié à  elle pour son éducation religieuse
Paroles rapportées de madame de Warens à Rousseau pour lui indiquer la suite des événements (ordre)
Rousseau est surpris par le ton qu'elle emploit (frissons, tremblements)
Le Rouge et le Noir de Stendhal XIX ème siècle 
-Narrateur extérieur,
-point de vue omniscient
Regard de madame de Rênal : pitié (compassion), délicat (instinct maternel)
Regard de Julien Sorel : étonné de sa beauté, frappé du regard plein de grâce de madame de Rênal
Porte d'entrée de la maison du maire
Julien Sorel est embauché comme précepteur des enfants Rênal. Mme de Rênal attend un "vieux précepteur grincheux" (=méprise)
Dialogue direct : présentation de la situation
Disparition de la timidité de Julien
déstabilise (oubli)
Immobilité
Rire (soulagement de bonheur)
Le Grand Meaulnes d'Alain Fournier XX ème siècle
-Narrateur extérieur
-point de vue interne de Meaulnes (adolescent secret et solitaire)
Regard de Meaulnes : remarque d'emblée le charme de la jeune fille, il la fixe, l'étudie
Regard de la jeune fille : innocent et grave
Dans un parc près de  l’embarcadère
Meaulnes est à la recherche d'un mystérieux domaine et assiste à une fête étrange
Pas de dialogue mais des échanges de regards
Rêve
Il ne peut pas se détacher de la regarder
Elle est dans ses pensées
Nadja de Breton XX ème siècle
-Récit à la 1ère personne
-Narrateur = héros
-Phénomène de décalage temporel
Echange de regard entre les 2 le narrateur et Najda
Regard du narrateur : remarque d'emblée le charme de la jeune fille
Dans la rue
Terrasse d'un café proche de la gare du Nord
Dialogue rapporté indirectement :
il l'aborde, échange pour faire connaissance
Pas d'hésitation
Curiosité
Sourire

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